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Par Girondine

Avant 1818, il fallait embarquer sur un bateau à voiles. Une partie de plaisir ? Pas vraiment. Témoignage d'un contemporain, Antoine Désiré Virac.

En 1818, l'invention de la vapeur procure dans le pays un nouveau et commode moyen de voyager. Un premier bateau à aube, la Garonne , fut lancé à Lormont le 3 août et le 7 octobre suivant, il commençait son service de transport de voyageurs de Bordeaux à Langon.

Qui était Désiré Antoine VIRAC ?Il a partagé avec son contemporain Léo Drouyn (1816 - 1876) le goût des choses anciennes et spécialement celui des arts et des monuments.
Né à Sainte Croix-du-Mont en 1805, fils de Jean Chrysostome et de Marie Andrée Laroque, il s'était marié en 1829 avec Jeanne Lespes du Pian. Clerc de notaire chez Maître Ferbos, il habitait Saint-Macaire.
C'est en 1838 qu'il a acheté à Sauternes une étude qu'il a tenue jusqu'en 1851. Veuf, il s'est remarié avec une maîtresse de pension, Sophie Josserand.
Dès 1840, il a participé à la création de la Commission des Monuments Historiques. Installé définitivement à Bordeaux, c'est comme membre actif qu'il a participé à un certain nombre de sociétés savantes.
De 1853 à son décès, le 26 juin 1872, il a exercé la fonction de Directeur de la Régie du Poids Public.Son oeuvre principale : « La ville de Saint-Macaire », terminée en 1869. Un travail construit à partir d'une expérience notariale et de la connaissance approfondie des Annales de Saint-Macaire.


Avant cette époque, les voyages de Saint-Macaire à Bordeaux ne s'effectuaient que par bateaux à voiles et dans les plus mauvaises conditions. Par exception, quelques habitants s'y rendaient par la diligence de Toulouse et quelques autres à cheval. Les grands, les gens riches y allaient au moyen de leurs voitures; mais combien peu avaient alors une voiture, un attelage.

Donc, généralement, un bateau, notamment le bateau du jour du dimanche, emportaient les quelques habitants qui, par nécessité, allaient de temps à autre à Bordeaux.

Esquissons à grands traits ces excursions de nos pères. Décrivons d'abord le véhicule qui doit transporter nos voyageurs.

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Tout maître marin qui voulait s'établir dans notre ville n'avait pas de grands frais à faire ; sa mise dehors, son cabau, comme disait le matelot gascon, n'était pas considérable. Voici comment il s'installait : de Toulouse, de Moissac et de tout le Languedoc on transportait à Bordeaux des marchandises de toute espèce et par toutes sortes d'embarcations; parmi celles-ci il y avait des sapines,des gabarots et des coureaux, ainsi que des couralins.
Tous étaient construits dans de déplorables conditions; aussi, n'est ce qu'avec difficulté qu'on remontait les plus solides dans le haut pays; pour tous les autres, on les vendait, une fois rendus à leur destination; les sapines, surtout étaient démolies impitoyablement et malgré les difficultés qu'offrait leur système de chevillage; les bordages en étaient presque toujours vendus pour la construction des planchers. Le futur patron achetait donc un gabarot pour peu d'argent : 100 ou 150 francs; il prenait quatre ou cinq cercles de cuve, les sciait à leur plus grand diamètre et les fixait, par chacune des extrémités, aux bords de la gabare; puis, latéralement à la nouvelle nef, on couvrait ces cercles de planches de pin ou de brûle, on les y clouait le plus solidement que l'on pouvait, et c'était le couvert, le salon des premières de cette sorte de steamer.

Un mât était dressé au milieu de l'embarcation; une vieille voile et même souvent un lambeau de voile de navire y était adapté. Du côté de la poupe on établissait une tille, pièce fermée, où, avec le maître et les hommes d'équipage, étaient admis à s'abriter ou à se reposer quelques voyageurs intimes, quelques amis du patron, quelques familiers des matelots.

C'était qu'assis sur une caisse, sur un baril, sur un tas de bois de chauffage ou sur tout autre objet plus ou moins incommode, nos voyageurs s'arrimaient comme ils le pouvaient et se tenaient blottis aussi patiemment que possible pendant toute la durée du voyage.

Mais ce n'était pas encore que l'un des plus pénibles de tous les inconvénients; il fallait que nos malheureux excursionnistes comptassent aussi avec bien d'autres : et le vent contraire, et la pluie, et la chaleur, et le froid, et le reflux, et le défaut de nourriture, et la privation de sommeil; il n'est pas jusqu'au débarquement qui ne s'opérait qu'avec difficulté et en courant un grand danger.

Par le vent contraire, l'équipage avait beau ramer, il ne pouvait faire avancer le bateau; il fallait souvent aborder à une rive ou à l'autre pour se réconforter dans un misérable bouchon, si l'on n'aimait mieux continuer son chemin à pied. Quant à la pluie, le couvert et le tillac n'étaient pas toujours suffisants, et bien heureux si, avec des parapluies, on pouvait se garantir de l'averse. La chaleur et le froid y exerçaient en outre leur intolérable action; mais au moins ces diverses contrariétés n'étaient éventuelles, et quelques uns avaient la chance de ne pas en souffrir; mais il n'était pas possible d'échapper au reflux, à la marée que nos 48 kilomètres devaient toujours subir de douze heures en douze heures : parti de Saint-Macaire à midi, il n'y avait aucun moyen d'arriver à Bordeaux, avec quatre ou six rameurs, assez tôt pour éviter la marée et le repos forcé de douze heures qu'il fallait endurer à Podensac, à Rions, à Langoiran ou partout ailleurs. Nous nous contentons de signaler le repos forcé de la marée; mais combien d'autres arrêts ne fallait-il pas supporter : ici, par le mauvais temps, ici pour un déchargement, ailleurs pour une marchandise à embarquer; et quand vous parcourez l'une de nos lignes d'omnibus de Bordeaux, de Saint-Médard, de Bordeaux à Pessac ou au Pont-de-la-Maye, les petites commissions que remplit le conducteur, les petits paquets qu'il reçoit et qu'il remet le long de la route, vous donnent une idée assez exacte des retards bien autrement importants que le voyage par bateau éprouvait par l'obligeance ou la cupidité des patrons.

Les retours de Bordeaux à Saint-Macaire étaient encore bien autrement ennuyeux, et si la marée vous remontait seulement à Rions, on s'estimait bien heureux d'en être quitte en débarquant et en faisant le surplus de la route à pied. Mais pour cela, il fallait être jeune, bon marcheur et d'une santé solide; le plus grand nombre ne réunissait pas toutes ces conditions.

On comprend ce que présentait de pénible cette façon de voyager. Peu de sûreté dans les bateaux; parcours entouré de dangers; incommodités de toutes sorte ; privations de plus d'un genre; lenteurs de nature à irriter les plus patient ; enfin et comme complément de ces vicissitudes qui en entraînaient bien d'autres, il fallait constamment lutter contre les exactions, la dureté et la grossièreté native des matelots de cette époque. En 1818, comme en 1718, peu d'entre ces hommes étaient allés à l'école, rarement ils savaient lire et écrire; et du jour où ils avaient pu être mousses jusqu'à celui où ils avaient navigué à la part dans un bateau, ils n'avaient appris quoi que ce soit. Les Macariennes nous ont assez bien dépeint leur caractère; la fameuse touque nous a découvert surtout l'un des côtés saillants de leur infidélité.C'est dans cet état que les voyages se réalisaient sur la Garonne , lorsque le premier bateau à vapeur commença son service pour Langon.
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Si encore un de nos marins eût l'idée d'avoir une ou deux yoles et de s'associer dix ou douze rameurs pour transporter commodément et plus vite les voyageurs; mais non : la routine était là, et si l'apparition des bateaux à vapeur ne leur eût suggéré ce moyen qu'ils tentèrent quand il n'était plus temps, l'ignorance les eût laissés faire tous les transports de la sorte à tout jamais. Fatale conséquence des populations qui n'ont aucune notion du progrès !

Histoire de Saint-Macaire - Antoine Désiré VIRAC


 

12/2012