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Par Girondine

C’est un motif de contravention qui revient régulièrement dans les procès-verbaux des séances du tribunal de simple police du canton de Pessac à partir de l’année 1853.
Pierre Carrère né à Lescun (Basses pyrénées), 23 ans, laitier, habitant Monsalot (Cestas) a « été rencontré sur une route départementale monté et endormi sur une carriole attelée d’un cheval blanc » - avril 1854.
Un motif de constat qui n’est pas isolé. Sur 53 infractions relevées, pour les années 1853 et 1854, une vingtaine pénalise l’endormissement des conducteurs. Sans doute faisaient-ils confiance à leurs bêtes, chevaux, mules ou bœufs. En ces temps-là, on se hâtait avec lenteur. Landes et boqueteaux ne sollicitaient guère le regard. Pourquoi, après un repas frugal arrosé de piquette, se priver d’une petite sieste dans le foin ou sur des sarments ?

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Certains, mieux organisés, avaient aménagé une civière sous la charrette, comme le mentionne plusieurs procès-verbaux,
ainsi « Jean Guillaume, domestique, a été trouvé couché et endormi dans une civière suspendue au dessous d’une charrette attelée de quatre chevaux » - juillet 1854

Lire les comptes rendus des audiences des jugements de simple police de la Justice de paix relatifs à la route pour les années 1853 et suivantes, c’est sortir de notre temps, de notre espace. Pour illustrer ces propos, on peut s’amuser à répondre à la question suivante : Quel temps mettait une charrette de foin attelée par deux bœufs pour aller de Pessac à Cestas, soit environ 13 kilomètres sachant que la vitesse de croisière de l’attelage était inférieure à 4 kilomètres à l’heure ?

Le canton de Pessac était particulièrement concerné par ce que l’on appelait la « police de roulage »

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Carte de la Gironde (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Pessac (1502 hab.), Gradignan (1630 hab.), Villenave d’Ornon (1370 hab.), Canejean (324 hab.), Cestas (865 hab.), Saint Jean d’Illac (527 hab.), des communes bien placées sur le passage de trois grandes routes : celle qui va vers Bayonne, celle qui conduit à la Teste, et plus modestement celle qui permet de rejoindre Arès. Un beau terrain de chasse pour les traqueurs de contrevenants.

Un nouveau texte relatif à la Police de roulage, de nouvelles infractions
Une loi, celle du 30 mai 1851, complétée par le décret d’exécution du 10 août 1852 pénalisait, sans doute, des usages pratiqués depuis des temps immémoriaux.

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Documentation à consulter sur Gallica : Traité de la police de roulage

Les premières pages exposent le texte de la loi avec la présentation, en parallèle, les dispositions du décret d’août 1852.

Les pages suivantes développent les modalités d’application de tous ces articles : motifs des contraventions, condamnations, responsabilité civile, instruction des affaires, jugements, etc.

 

Cette loi permettait de verbaliser les conducteurs endormis, qu’en était-il des autres motifs de infractions ?
Ci-dessous quelques exemples :

  • N’a pas laissé céder la moitié de la route aux autres voitures (1 verbalisation)

  • A laissé stationner sa charrette route de Bayonne (1 verbalisation)

  • N ’avait pas de plaque ou sa plaque était illisible (3 verbalisations). Une infraction que l’on retrouve dans tous les cantons.

  • A abandonné sa voiture ou sa charrette (2 contraventions)

  • Excès de vitesse : « on a rencontré dans la traversée de Pessac Mathieu Charlas monté sur un cheval qu’il avait lancé au grand galop » et plus tard « des voitures qui suivent au grand galop » (2 contraventions)

  • Le conducteur était « hors d’état de guider et de conduire » ; ceci pour plusieurs raisons : « il était monté sur le derrière de la voiture », « il tournait le dos aux chevaux » « il était couché sur la charrette sans avoir en mains les guides de ses mules », « il était à 200 mètres derrière la charrette », etc. (9 contraventions)

D’autres contraventions ont également été relevées en infraction aux arrêtés du préfet ou à ceux du maire d’une commune.

  • Un domestique « faisait pacager cinq chevaux sur le chemin vicinal à Villenave d’Ornon »;

  • pour un autre c’était « cinq vaches et une génisse » qui broutaient sur une route;

  • le jeune Dubos (6 ans) « faisait paître une vache qu’il tenait par le col sur un chemin »,

  • et ce sont « trois vaches qui ont été trouvées sur un chemin vicinal » : (4 contraventions)

Il y avait aussi des infractions spécifiques relevant d’accords passés entre des entreprises de voitures publiques et les mairies

  • La voiture n’est pas partie à l’heure fixée (5 contraventions)

  • Le conducteur « a abandonné le marchepied » ou « abandonné le marchepied et laissé monter 3 enfants sur le marchepied » (2 contraventions)

  • La voiture s’est arrêtée devant une auberge pour prendre un voyageur (1 verbalisation)

  • Le conducteur avait fait stationner la voiture omnibus sur la place publique sans autorisation (1 contraventions)

En infraction du code pénal, un entrepreneur de bâtisses avait déposé de la pierruche ou des bris de pierres sur un chemin

Que risquaient les contrevenants ?
Les peines avaient été fixées par lois ou décrets. Il était possible de plaider les circonstances atténuantes. La récidive alourdissait la sanction.
Quelques exemples :

Pour ceux qui ont été trouvés hors d’état de guider leur cheval : 6 f d’amende à 10 f
Ceux qui ont été trouvés endormis 6 à 10 f – en cas de récidive 15 f d’amende et 2 jours de prison
Un défaut de plaque ou une plaque illisible : de 1 f à 6 f
Pacage illicite : 2 f et en cas de récidive 5 f et 1 jour de prison

Précision : une journée de travail d’un journalier rapportait environ 1f (pour un homme).
Toutes les peines étaient assorties des « dépens », c'est-à-dire au remboursement d’une partie des frais de procédure. Soit une somme qui pouvait se monter de 4 francs jusqu’à10 f. S’ajoutaient les frais d’expédition.
Il faut noter que les parents d’un mineur ou les maîtres étaient civilement (et non pénalement) responsables de leur enfant ou de leur employé. Aussi les uns et les autres étaient-ils convoqués au tribunal. Il arrivait au juge de décider que l’amende et les dépens seraient payés solidairement par le patron et son domestique.

Le produit des amendes
Une partie était versée jusqu’à concurrence d’un tiers aux agents qui avaient fait le constat d’infraction (garde-champêtre, gendarmes, ambulants des Ponts et Chaussées, etc.). Les deux autres tiers étaient versés au Trésor Public qui les attribuait au département si l’infraction avait été constatée sur une route impériale ou départementale ou à la commune s’il s’agissait d’un chemin vicinal.

Les infractions du canton de Pessac étaient-elles spécifiques du canton ?
Les décisions des tribunaux de simple police des autres cantons relèvent surtout le manque de plaque, la vitesse excessive des chevaux dans les villages, le pacage inapproprié des bêtes sur les chemins, les stationnements illicites et la non-maîtrise des guides. Il est fait peu cas de conducteurs endormis …

Sources : ADG33 4 U 45 et 46


Un procès verbal - ADG33 4 U 46

 

Le Ministère public/ Pierre BarsacEntre le Ministère public poursuivant dans l'intérêt de la vindicte publique d'une part,
Et le Sr Pierre Barsac né à Biganos, âgé de vingt cinq ans, charretier au service du Sr Pierre Cameleyre, marchand de bois et led Sr Cameleyre pris comme civilement responsable, demeurant tous les deux ensemble au bourg de Mérignac, défendeurs comparant en personne d'autre part,
Faits Le dix huit janvier courant, le Sr Pierre Barsac a été rencontré sur la route départementale N°6 et le territoire de la commune de Mérignac, monté sur la charrette qu'il conduisait et tournant le dos à ses chevaux, lad charrette chargée de gerbes de vime et appartenant au Sr Cameleyre ainsi qu'il résulte d'un procès verbal dressé par le Sr Puissant, commissaire de police en date dix huit janvier courant dûment, timbré et enregistré.
Sur l'avertissement qui leur a été donné les d Srs Barsac et Cameleyre, ce dernier comme civilement responsable, se sont présentés volontairement à l'audience de ce jour pour entendre à statuer ce que droit sur le fait qui est reproché au prévenu. La cause appelée, il a été donnée lecture par le greffier du procès verbal sus relaté.
Ensuite le sr Barsac a reconnu avoir commis la contravention qui lui est reprochée, mais il a observé que s'il était monté sur une charrette, c'était pour donner une gerbe de vime que Sr Sabourin qui lui avait couru après pour le lui demander; qu'il était immédiatement après descendu du dessus de la charrette et il a réclamé l'indulgence du Tribunal.
Le Sr Cameleyre a déclaré s'en remettre à justice.
Puis le Ministère public a résumé l'affaire et donné ses conclusions verbales et motivées.

Sur quoi :
Attendu que le fait constaté par le procès verbal du commissaire de police Puissant constitue une contravention prévue par l'art 14 du décret du 10 août 1852 et puni par l'art 5 de la loi du trente mai 1851,
Attendu néanmoins que les observations présentées par le contrevenant sont de nature à attirer sur lui le bénéfice des circonstances atténuantes;
Attendu que le Sr Barsac étant au service du Sr Cameleyre, ce dernier doit être déclaré civilement responsable.
Par des motifs : Le Tribunal déclare le Sr Pierre Barsac coupable de contravention de simple police et admettant en sa faveur des circonstances atténuantes le condamne à 10 francs d'amende et aux dépens liquidés à quatre francs soixante dix centimes sans y comprendre le coût de l'expédition et de la signification du présent jugement; Déclare le Sr Cameleyre civilement responsable de l'amende et des dépens sus énoncés.
Led jugement est rendu en conformité des art 14 du décret du 10 août 1852, 5, 13 et 14 de la loi du trente mai 1851, 463 du code Pénal et 162 du code d'Instruction criminelle.
Les art 5, 13 et 14 de la loi du 30 mai 1851, 46, 3 du code Pénal sont ainsi conçus :
art 5 : Toute contravention aux règlements rendus en exécution des dispositions des Nos 4 et 5 du 2e § de l'art 2 est punie d'une amende de six à dix francs et d'un emprisonnement de un à trois jours
art 13: Tout propriétaire de voiture est responsable des amendes et des dommages et intérêts et des frais de réparation prononcées en vertu des articles du présent titre contre toute personne préposée par lui pour la conduite de sa voiture.
Art 14 Les dispositions de l'art 463 du code pénal sont applicables dans tous les cas où les tribunaux correctionnels ou de simple police prononcent en vertu de la présente loi.
Art 463 Dans tous les cas, la peine de l'emprisonnement et de l'amende sera prononcée par le code pénal ; si les circonstances paraissent atténuantes les tribunaux correctionnels sont autorisés même en cas de récidive, de réduire l'emprisonnement même en dessous de six jours et l'amende même au dessous de seize francs; ils pourraient aussi prononcer séparément l'une et l'autre de ces peines et même substituer l'amende à l'emprisonnement sans que dans aucun cas elle puisse être en dessous des peines de simple police.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique et en premier ressort à Pessac le trente et un janvier mil huit cent cinquante quatre. Oscar Déjean F Peyneau


(01/2014)