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Dans ce monde étrange, il y avait aussi des filles (de moins de 16 ans au moment du délit) en 1822. Elles apparaissent au travers d'une lettre du président de la cour d'assises adressée au ministre de l'intérieur : il souhaitait un local adapté à ces enfants. En fait, ces jeunes étaient confondues avec les autres condamnées. Elles ne bénéficiaient d'aucune surveillance la nuit car les religieuses chargées de leur direction se retiraient le soir dans leur couvent.
Le magistrat s'inquiétait à juste titre; il semblait découvrir les dangers potentiels de cette situation. Aussi a-t-il envisagé de ne plus faire usage de l'article 66. Le ministre quant à lui, proposait le placement chez un artisan, moyennant rétribution. Une mesure qui avait été adoptée avec succès dans d'autres départements. Il n'y a pas trace dans les documents consultés de la suite de cette affaire.

Un visiteur, un témoignageEn septembre 1833, le Fort du Hâ a reçu Léon Faucher. Ce n'était pas un prisonnier mais un jeune homme, journaliste de son état. Il s'intéressait, comme nombre de gens bien intentionnés à cette époque à la question pénitentiaire. On débattait : comment créer la meilleure prison possible qui soit à la fois punitive, dissuasive et éventuellement efficace ? L'argument économique tenait sa place bien entendu. Quel était son projet en entrant dans le Fort du Hâ ? Confirmer ou infirmer une hypothèse ? Toujours est-il qu'après une visite, qui se rapprocherait d'une inspection, il a publié ses impressions dans les colonnes d'un journal « La Gironde ». Un témoignage (partial ?) qui complète le vide des archives relatif à cette période et à ce lieu. Un style, éloigné de la langue de bois de l'Administration.
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« Le château du Hâ est une vraie prison du Moyen-âge ; on l'a établie dans l'enceinte à demi-renversée de l'ancien fort. Les prisonniers sont logés moitié dans les vieilles tours, moitié dans des bâtiments délabrés, espèces de galeries intermédiaires de construction plus moderne.. » écrivait-il. En d'autres termes on avait bricolé à droite et à gauche sur de vieilles pierres afin d'adapter au mieux les lieux à l'hébergement de populations disparates.

Concierge  un rôle difficile à tenir :
  • il fixe les heures de lever et de coucher,
  • il détermine les obligations des détenus, les corvées et les punitions,
  • il a aussi la responsabilité de l'intendance,
  • il procure du travail aux condamnés.
Par ailleurs, « un homme simple, plein de bonnes intentions et qui adoucit par son caractère ce qu'il y a de trop dur dans ses fonctions »Il n'a pas fonction de directeur, ce n'est qu'un geôlier. « il doit refaire la loi tous les jours ». 
  Le personnel ou intervenants  :Deux sœurs de charité qui viennent dans la journée et repartent le soir (elles tiennent l'infirmerie et s'occupent des femmes)
  • Un médecin  : il passe le matin
  • 3 gardiens
  • un aumônier
le corps de garde dont un factionnaire sur une plateforme élevée à 3 m du sol. Une sentinelle dans chaque cour la nuit et 30 hommes à la porte de la prison.
     
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  Population en septembre 1833  :
  • 72 prévenus ou condamnés militaires,
  • 160 prisonniers civils dont 24 femmes,
  • 10 enfants,
  • 3 détenus pour dettes et 4 aliénés
Fort du Hâ : vue intérieure


De fait aucune règle n'est appliquée. Par sécurité, on ferme à clé les dortoirs à 6 heures du soir. « Les plus faibles se voient ainsi à la discrétion des plus forts ; pendant 12 heures, la prison est en république. Tout le système consiste à faire bonne garde, pour éviter les évasions et tout va bien si le concierge en comptant le matin les détenus retrouve le nombre de la veille ». Les détenus ont la possibilité de travailler, (ouvrages de paille, tresses en cheveux pour les hommes, tricot et couture pour les femmes). Mais il n'y a pas toujours de l'ouvrage et parfois le paiement ne suit pas. Léon Faucher a été impressionné par les conditions de vie imposées aux détenus : les cachots il y en a (il y a une description assez horrifique de ces lieux, en sous-sol des tours) avec de la paille humide bien entendu. Au Fort du Hâ, il n'y a pas de lits (sauf à l'infirmerie , dans les chambres de pistole1 et dans l'appartement du concierge où peuvent loger, moyennant pension, les prisonniers politiques) . Les militaires couchent sur des grabats ou à même le sol sur de la paille. Petites chambres ; plancher troué, l'inévitable baquet. Une odeur détestable. L'hiver, ils ne peuvent se réchauffer. « Le vent entre partout, de chaque porte, il ne reste que la moitié, point de vitrage, les volets sont mal joints. Pendant longtemps, on ne grimpait dans un de ces étouffoirs qu'à l'aide d'une échelle ; dans un autre le contrevent était brisé, la fenêtre est restée ouverte de décembre à février. ». Les civils, condamnés ou prévenus ne sont pas mieux lotis.

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La tour carrée, très délabrée (1835)

 

Quant au quartier des femmes, « C'est l'enfer de la prison. Une cour et un dortoir. Tous les jours et pendant 24 h il faut que les prévenues habitent avec les condamnées et celles qui ont un peu de pudeur avec les créatures les plus éhontées. Bien peu y résistent La violence fait ce que la persuasion ne fait pas, car elles couchent souvent trois dans le même lit. Deux soeurs de charité gardent pendant le jour cette foule indisciplinée avec un cachot pour auxiliaire. » « La nuit, il n'y a plus de surveillance pour personne, on boucle l'infirmerie, on isole les dortoirs, on boucle la cage des aliénées ; il ne reste plus qu'une sentinelle à la porte de la cour pour avertir le concierge si le vacarme que font les détenues devient trop éclatant. Quelquefois, ce sont des batailles acharnées, plus ordinairement des orgies qu'elles seules pourraient nommer. On ne saurait douter que le voisinage des hommes n'ajoute à l'emportement de ces bacchantes »
Une petite infirmerie bruyante et entre le dortoir et l'infirmerie, la cage aux folles : la « loge des aliénées fermée par une grille en bois ». Léon Faucher y a vu une malheureuse accroupie sur la paille.

Dans l'enceinte du Fort, on trouve une infirmerie, très propre ; mais insuffisante pour traiter les divers maux dont souffrent les résidents : pas de salle de bains en particulier, ni de cour pour les convalescents. A partir de 5 heures du soir, il est impossible d'obtenir le moindre secours.

Il y a toujours la chapelle bien entendu et son aumônier.

Où sont donc les « enfans » ? Ils sont toujours logés à la Poivrière. Les bâtiments ont vieilli. « Le quartier des enfants est une autre espèce de cachot. Ils ont pour se promener une cour étroite près d'une étable à porcs et pour dormir un donjon percé de quatre ouvertures dans l'intérieur duquel règne un lit de camp vermoulu. Ils n'évitent la vermine qu'en étendant de la paille sur le carreau. Quant au froid, ils ne l'évitent pas ; autant leur vaudrait de coucher en plein air. La nuit comme le jour les jeunes sont livrés à eux mêmes et l'on s'étonne de leur corruption précoce ! Pourtant ces figures annoncent l'intelligence, toutes pâles qu'elles soient de souffrance et de débauche. Il y avait là plus d'un naturel heureux que l'éducation eut développé. Mais quelle éducation que celle des prisons ! on ne leur donne ni travail ni enseignement : la plupart ne savent pas lire, ils vivent là comme ils vivaient sur le pavé où on les a pris, dans l'ignorance et dans l'oisiveté.
Leur unique occupation est de lancer des pierres dans les cours voisines pour exciter les cris et se donner la joie de quelque désordre ».
Léon Faucher, lors de sa visite a trouvé deux enfants « que l'on envoie par manière de punition, s'instruire à l 'école des forçats » dans une cour spéciale destinée aux condamnés aux fers ; ils partagent le lieu avec un « fou furieux qui avait plus besoin de douche que de chaîne ».

Quelle était la durée du séjour des « enfans » ? Des années ? on n'ose y croire. Les adultes ne faisaient en ces lieux que des séjours de courte durée, 2 mois en moyenne pour les civils, un mois pour les militaires.
« Dans cette marche permanente, la population se renouvelle, le foyer de corruption ne s'éteint pas ».

Laissons Léon Faucher conclure : En ce qui concerne les prisons départementales « on les abandonne aux administrations locales qui les livrent elles-mêmes la plupart du temps à un geôlier ignorant et brutal. On y verse pêle-mêle les prévenus et les condamnés, les mendiants, les vagabonds, les aliénés, les hommes, les femmes, les enfans. Point de distinction de crimes, ni de peines, de sexe ni d'âge. Tout cela vit ensemble comme une famille attablée au vice. Point de travail qui face diversion, l'oisiveté les ronge : ce sont des auges à pourceaux. Ajoutez l'insalubrité des lieux ; car on ne batit guère pour ces hôtes de passage et la prison s'établit tant bien que mal dans quelque donjon en ruine ou dans quelque couvent. La surveillance est nulle ; l'administration c'est la volonté de l'homme qui ouvre et qui ferme les portes. Quatre murs bien clos, un porte clé avec ses gardiens à l'intérieur ; en dehors un poste de soldats ; plus le pain de l'entrepreneur pour nourriture, et un peu de paille pour lit ; voilà ce qui constitue la prison. Cela fait , les magistrats de l'endroit peuvent dormir tranquilles, comme s'ils venaient d'assurer le repos de la société »

Les travaux de démolition du Fort du Hâ et la construction du palais de Justice ont débuté en 1835.
Qu'en a-t-il été des « enfans » ? Les garçons ont été pris en charge dorénavant par la « Maison correctionnelle Saint-Jean » qui a ouvert ses portes en 1837, rue de Lalande. Quant aux jeunes filles, elles ont été orientées vers le Pénitencier pour filles de Sainte Philomène, rue Mercière .
Mais ceci est une autre histoire.


Sources
ADG33 : 4N111 - 4 N 112 – 4 N 113
AMB : Article de Léon Fouché paru dans le journal « La Gironde » en 1833.
Publié sous forme de fascicule AMB : BIB 9 C 16Qui était Raymond Faucher ? On peut s'informer en lisant l'article qui lui est consacré dans wikipédia. :
http://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_FaucherOn notera qu'il est l'arrière-grand-oncle de François MitterandOu pour une approche plus sensible :
http://fr.wikisource.org/wiki/Biographie_-_M._Léon_Faucher
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