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Par D.Salmon Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Le crime de Lormont en 1875 est un des faits divers les plus marquants de la fin du XIX° siècle à Bordeaux. Ce sordide drame à quatre personnages a passionné les lecteurs de la presse à sensation. L'exécution de l'assassin, Jean-Baptiste Pascal, place du repos (1), a été l'occasion d'un effrayant spectacle. Mais pire encore a été le scandale de l'exposition de sa tête tranchée, à l'école de médecine.

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Le crime de Lormont

Le 29 octobre 1875, Jean-Baptiste Méry, un jeune ouvrier serrurier, tombe dans un piège tendu par Juliette Garnier, une prostituée de 18 ans. L'amant de cette dernière, Jean-Baptiste Pascal, est un boucher de 24 ans. Malgré sa taille moyenne il est d'une vigueur extraordinaire. Avec l'aide de Jean Bouchaut, dit le Manchot, Pascal égorge Jean Baptiste Mèry sur le chemin du Rouquet à Lormont. Pascal est condamné à mort le 12 mai 1876. Ses deux complices sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité (2).

Une exécution à grand spectacle

Dès le samedi 1° juillet 1876, la date l'exécution est connue. Elle aura lieu le lundi 3 juillet au petit matin, place du repos. A partir de minuit vingt-cinq mille personnes se dirigent en procession vers la porte Sud du cimetière de la Chartreuse. Tous les toits sont couverts de curieux. Certains même, dit-on, sont perchés sur les cheminées ! Les travées se louent cinquante francs. Il faut débourser deux francs pour s'installer en équilibre sur les tuiles. Autour de la place, dans les parties libres de construction, on a rangé des charrettes en cercles. Sur les chaises, des planches ont été installées pour accroitre le nombre des spectateurs. Dans la nuit noire, éclairée des seuls fanaux, bruissent " les rumeurs vagues et confuses, le bourdonnement de la fourmilière humaine " (3)

Pascal est d'une force herculéenne. Les autorités craignent ses réactions qui pourraient compromettre le bon déroulement de l'opération. Il est réveillé à trois heures et quart. Contrairement aux attentes, il reçoit la nouvelle sans émotion apparente. Il entend la messe, communie puis distribue sa photographie. L'abbé Raymond l'accompagne dans son transfert du Fort du Ha à la place du repos.

Arrivé sur place Pascal adresse à la foule un curieux : " Bonjour, messieurs " puis il embrasse le crucifix, l'aumônier et le bourreau. Au troisième pas, il est poussé sur la planche. La lame, s'abat promptement. La tête tombe dans le panier ; un filet de sang asperge un des aides. Le corps est agité de dernières contractions.

Il est quatre heures cinquante du matin. La cérémonie expiatoire est terminée. La foule se disperse. L'exécuteur repart à Paris le soir même. Il était descendu dans une auberge du quai des Queyries. Sur le registre des voyageurs il avait écrit simplement :
" M.Roch, fonctionnaire public et ses employés "

Le scandale de l'école de médecine

Le cadavre de Pascal est d'abord placé au dépositoire du cimetière de la Chartreuse. Puis il est envoyé à l'école de médecine de Bordeaux où les praticiens pourront faire des études " spéciales ". Les études " spéciales " font la renommée de l'école de médecine. (4)

Echaudé par le refus essuyé, l'an passé, pour recevoir le corps de Fradon, le directeur de l'école avait réclamé celui de Pascal le 27 juin (soit une semaine avant la date prévue pour l'exécution). La mairie met des conditions, elle exige de récupérer le cadavre aussitôt les expériences achevées. Il s'agit d'une sage précaution. En effet, dès le 4 juillet, le bruit se propage dans Bordeaux que l'on peut voir le corps de Pascal à l'école de médecine en payant. Pour agrémenter la séance, la tête, dit-on, a été placée entre les jambes.

De nombreux clients, dont beaucoup de femmes, rejoignent la place de l'école de médecine. C'est l'émeute. La police doit intervenir pour enrayer quelques scènes d'hystérie. Un nommé Dallés, marchand de balais, se roule par terre ; une dame Deschamps, marchande de sardines, et un sieur Ballias, marchand d'ornements d'église sont arrêtés (5). Devant ces débordements il est convenu de rapatrier les restes de Pascal à la Chartreuse où il sera enseveli discrètement.

En 1881, l'inspecteur des cimetières demande au maire de Bordeaux (5) : " Le creusement des fosses dans le champ commun de la 14° division, va nous faire rencontrer les corps de Fradon et de Pascal. Faut-il les mettre avec ceux de tout le monde ou comme les corps dits verts, au contre bas du sol des fosses afin de ne pas y toucher ? " Réponse laconique - et prudente - du maire : "Au contre bas du sol des fosses"...

Le crâne de Pascal figurait encore aux collections du musée de l'Académie de médecine de Bordeaux en 1913. On perd sa trace à l'occasion du déménagement de la faculté vers le site de Pellegrin.


Sources

1 : La place du Repos est proche de l'actuelle place Gaviniès.
2 : Archives départementales. Cote 2 U 879
3 : Journaux de l'époque : journal de Toulouse, le Figaro, petit journal. Site Gallica. BNF.
4 : Je n'ai pu déterminer en quoi consistaient réellement les études spéciales. Sans doute s'inscrivaient-elles dans l'esprit des recherches " phrénologiques "en vogue à l'époque.
5 : Archives municipales de Bordeaux

(02/2014)