Par Monique Lambert

Au début du XIXème siècle, ces jeunes enfants ne venaient pas de Savoie, mais du Massif Central, en particulier de Blesle (Haute Loire). C'est au début de l'hiver qu'ils arrivaient, par groupes, menés par un adulte ; Ils allaient ramoner les cheminées pendant quelques mois ; la fin du printemps, ils repartaient ou restaient pour une nouvelle année. On les appelait les « petits savoyards », comme ces anciens qui, originaires de Savoie ont longtemps ramoné avant de devenir « frotteurs ». Que sait-on d'eux ?

 

savoyards01

 

Les bordelais s'étaient habitués à leur présence et on peut les retrouver sur de nombreuses lithographies de cette époque.

Des traces écrites sont plus intéressantes.

Ainsi peut-on consulter aux Archives municipales de Bordeaux un Registre ( AMB 802 I 1) : c'est un registre officiel recensant les portefaix, décrotteurs etc. de la ville de Bordeaux de 1830 à 1838.

Ce registre mentionne les noms, l'âge, la provenance et le domicile à Bordeaux de ces hommes jeunes ou moins jeunes qui exerçaient un très petit métier. On ne sait l'utilité de ce registre. Surveillance d'une population à risques ?

On y apprend que la plupart de ces hommes étaient originaires du Cantal, de la Corrèze et des Pyrénées (en particulier du Val d'Aran). Un certain nombre venaient de la Haute-Loire et du Puy-De-Dôme. Il s'agissait d'adultes ou d'adolescents.
Le tableau ci-dessous récapitule les noms des bleslois répertoriés.

N° Plaque
Nom
Age
Domicile
Observations
17

Duperry Jean

44

Logé 15, rue St Paul St Nicolas
VI Bouhaut N° 28

1829
le 25/6/1835

24

Morel Jean

21

13/12/1834 6, rue du Cayre

 
25

Rigaud Jean

24

17/07/1834 10, rue Pillet

 
44

Jubelin Joseph

17

17/09/1834 10, rue Pillet

 
94

Durand Antoine

19

14/08/1834 6, rue du Cayre   

 
121

Maigne Antoine

19

12/03/1834 31, rue Tombe l'Oly

 
139

Morel Jean

15

30/12/1834 6, rue du Cayre

 
180

Maigne Jean

40

12/03/1834 31, rue Tombe l'Oly

 
185

Baissast Guillaume

60

15/09/1834 31, rue Tombe l'Oly

 
187

Baissat Guillaume

16

15/09/1834 31, rue Tombe l'Oly

 
300

Auzolle François

34

15/07/1834 12, rue Veyrines
05/09/1838 12, rue Veyrines

parti

301

Auzolle Baptiste

30

15/ 07/1834 12, rue Veyrines

Retiré sa plaque n'ayant pas signalé son changement de domicile

410

Chazal André

41

13/11/1835 26, rue Leyteire

 
439

Girard Nicolas

49

logé 10, rue Pillet

 
455

Rouches Jean

19

20/01/1835 3, rue Gabillon

 
562

Visconti Jean ( ?)

14

02/08/1836 31, rue Tome L'Oly

 
595

Anglade Jean

14

05/05/1835 31, rue Tombe l'Oly

 
624

Merle André

13

12, rue Veyrines

 
637

Moriol Pierre

14

25/05/1835 12, rue Veyrines

 
639

Baze Pierre

14

30/07/1836 12, rue Veyrines

 
677

Jarry Pierre

13

30/07/1836 10, rue Pilet

 
707

Jubelin Jean

14

29/08/1835 10, rue Pillet

 
835

Gilbert Jean

14

22/07/1835 31, rue Tombe l'Oly

 
839

Chassignard Pierre

22

12/12/1835 65, rue Leyteire

 
840

Aubizoux Gabriel

15

25/09/1835 12, rue Veyrines

 


De fait, ce tableau est incomplet. Les écrits les concernant font apparaître des enfants bien plus jeunes (à partir de 7 ans parfois) qui rentraient parfois au pays au printemps (le voyage se faisait à pied) ou restaient en Gironde plusieurs années.
Leurs conditions de vie assez lamentables ont ému un certain nombre de notabilités, surtout religieuses. Il fallait faire quelque chose pour eux. Un modèle : l'abbé Fenelon, à Paris au 18° siècle. Ainsi naquit une ouvre charitable à Bordeaux, vers 1818, sous la houlette d'un ecclésiastique : l'abbé Dupuch. Il va sans dire que la religion tenait sa place.
On peut noter une particularité : le parrainage des petits ramoneurs par des enfants de bourgeois et plus qu'un parrainage, semble-t-il, des rencontres.

Pour en savoir plus sur ce petit monde, il faut lire : « Essai sur l'ouvre des petits savoyards ».

L'abbé Dupuch aimait écrire. Pour convaincre des bienfaiteurs potentiels, il a rédigé un ouvrage :
« Essai sur l'ouvre des petits savoyards ». L'auteur avec brio a imaginé des dialogues entre des petits ramoneurs et leurs jeunes protecteurs. Par ce biais, il donne de savoureux détails sur la vie de ces jeunes enfants ; la précision est telle qu'il est possible de reconstituer pour certains d'entre eux des lambeaux de biographie.

Cet ouvrage est consultable aux Archives municipales de Bordeaux.

Avec les éléments biographiques retenus, le curieux peut aussi consulter les tables d'état civil de la commune de Blesle et retrouver certains jeunes qui, rentrés au pays, y ont fait souche.

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Les enfants semblent avoir été réellement pris en charge de 1818 à 1837, date du départ de l'abbé Dupuch pour Alger (il fut le premier évêque de cette ville). Après son départ, l'ouvre a continué. Comment ? On trouve une mention de son existence en 1860. Il semble qu'elle ait disparu peu après.

Note : le village de Blesle mérite une visite. Il conserve les vestiges d'une prospérité qui n'a pas résisté à la Révolution. Les migrations des « petits savoyards » ne semblent pas être mentionnées dans l'histoire de cette commune.

(12/2012)


Commentaire 

Sans sous-estimer la place tenue par Fénelon dans l’histoire des Petits Savoyards à Paris, il convient de ne pas négliger le rôle de ceux qui sont à l’origine de l’oeuvre.  

« René François du Breil de Pontbriand, né à Pleurtuit le 22 mai 1705, suivi quelques temps la carrière des armes, puis entra dans l’état ecclésiastique et se consacra spécialement dès lors à l’œuvre dite « des petits Savoyards », dont il fut le  véritable fondateur. 

Avant lui, cependant, et dès la fin du XVIIe, la misère et le délaissement de ces pauvres enfants nomades avaient inspirés de charitables tentatives à plusieurs hommes vertueux, tels Bénigne Joly, chanoine du diocèse de Dijon ; Claude Hélyot, conseiller à la Cour des aides ; Claude Le Pelletier de Sousy, et l’abbé de Flamanville ; mais ces efforts isolés n’avaient produit que des résultats éphémères. 

C’est en 1732 que l’abbé de Pontbriand entreprit l’œuvre de ses devanciers, en lui donnant un caractère permanent et régulier ; il trouva dans le Clergé de Paris plusieurs ecclésiastiques empressés à le seconder, et son zèle embrassa dès lors l’assistance et l’instruction, non seulement des Savoyards, mais de tous les ouvriers des rues de Paris. 

« Le bon pasteur », dit l’auteur d’une monographie de 1878, « alla chercher ses brebis disséminées sur les différents points de la grande ville. Pour les atteindre, pour étudier les mœurs, les habitudes, les besoins d’un troupeau si mobile, il transporta successivement son domicile dans tous les quartiers de Paris. Ainsi connut-il au bout de quelques années toutes les stations où les ouvriers des diverses provinces et des diverses professions se tenaient pendant le jour et les habitations où ils se retiraient le soir. Le résultat de ses recherches est consigné dans un travail divisé en cinq parties, et cette statistique est un chef-d’œuvre de patience et de sagacité. » 

Bientôt il établit des catéchismes et des écoles de charité fréquentées par plusieurs milliers d’ouvriers nomades, auxquels il distribuait, avec l’instruction religieuse, d’abondantes aumônes et des secours de tout genre. Malgré l’immensité des besoins, les ressources ne lui firent pas défaut, et la pieuse Marie Leczinska fut au premier rang de ceux qui lui vinrent en aide. 

Il en publia quelques notices entre 1735 et 1743. 

Il poursuivit son pieux apostolat jusqu’à sa mort, après laquelle il eut pour héritier de son zèle et de sa mission, le vertueux abbé de Fénelon, qui mérita d’être appelé l’évêque des Savoyards, mais que les larmes de ses enfants d’adoption ne purent sauver de l’échafaud révolutionnaire. 

L’œuvre de tous les deux fut reprise par l’abbé Legris-Duval, et plusieurs fois ébranlée par les révolutions, en 1897, elle continuait de porter des fruits précieux. 

Ce n’est donc pas l’abbé de Fénelon à l’origine de la création de l’œuvre, mais plusieurs personnes, dont quelques-unes citées ci-dessus, en unissant leurs forces, comme les vagues font la marée, ont créé ce mouvement humanitaire des « Petits Savoyards » 

Source : Histoire Généalogique de la Maison du Breil, pages 207 à 209 

Le 30/10/2020