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Par M.Lambert.

Un inventaire, celui d’une boulangerie, il y a 200 ans. Cette boulangerie était située sur le port de la petite ville de Saint-Macaire.

Profitez de cette opportunité pour visiter la cité médiévale proche de Langon :
http://www.saintmacaire.fr/z/index.php
sans négliger dans la rubrique « Histoire », de visionner et écouter la video « Si Saint-Macaire m’était contée ».

Pour en revenir à la boulangerie, rendez-vous porte Rendesse. Le lieu est paisible. Quelques voitures, des piétons. Tout près, un jardin partagé.

Une maison rue du Port
Il y a 200 ans, en 1819, c’était une boulangerie.
Un bras de Garonne longeait alors les remparts. Cette maison donnait sur le port. On y débarquait; on y embarquait… du vin bien sûr. D’autres marchandises. Direction Bordeaux ou …ailleurs.
Cela faisait du passage, des bateliers, des voyageurs, des gens du pays.

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Pouvait-on rêver meilleur emplacement ?
C’est ce qu’avait dû penser Jean dit Jeanty Marquille, boulanger de son état quand il a fait l’acquisition de cette maison en 1811. Sans doute avait-il vu juste, au moins dans l’immédiat. L’argent rentrait. Il a pu acheter terres et chais.

Or le 18 mai 1819, il est décédé. Il n’avait que 42 ans. L’implication d’intérêts concernant des enfants mineurs – Jeanty Marquille était tuteur de neveux - a généré quelques pièces de procédure tels que la pose de scellés et un inventaire complet des biens possédés.
Des documents riches d’informations qui nous auraient permis, en complément avec d’autres actes ou archives, d’en savoir plus sur la famille Marquille, c’était des boulangers, celle de sa femme, ils étaient bateliers et celle d’autres petits notables locaux qui gravitaient autour.
Il a été préféré un autre choix de lecture, plus modeste. La présentation des objets décrits dans leur environnement.

Qu’y avait-il dans une boulangerie au début du XIX° siècle ?
En 1817, un autre boulanger, Dominique Estibal était décédé à Saint-Maixant, la « banlieue » de Saint-Macaire. L’inventaire de sa maison (un bien plus modeste que celui de Marquille) a permis de compléter et de préciser certains termes.

En pièce jointe vous pouvez consulter la transcription de la pose des scellés et l’inventaire complet. C’est très long ; il n’est pas interdit de juger tout ceci de lecture fastidieuse.


Voici les grandes lignes de ce que l’on peut en retenir.

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Plan cadastral
Cliquer sur l'image pour agrandir.


La maison de faible profondeur se présentait sur deux étages au-dessus d’un rez-de-chaussée, donnant en partie sur un emplacement face au port. Un petit chai complétait l’ensemble. Un droit de passage chez un propriétaire riverain était prévu en cas d'inondation.

Ne cherchez pas de boutique, il n’y en avait pas. Le pain s’achetait dans la pièce où était fabriqué et cuit le pain. Chez Estibal, le boulanger de Saint Maixant, c’était dans la cuisine de la famille qu’on trouvait une « table qui sert de comptoir ».
Le pain n’était pas payé comptant. Aussi le boulanger devait présenter sa note qui récapitulait ses fournitures pour obtenir un règlement, pas toujours immédiat. De délai en délai l’affaire se concluait parfois devant le Juge de paix.

En pénétrant dans la boulangerie, on découvrait sans surprise le four, un « tolier » ou établi, une « met », des pelles à four, des

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« Courant au bois fendu, j’en prends une chartée ;
Vite avec un tison je mets le feu au four,
Précipité de voir mes pains cuits au jour
Il n’est pas plutôt chaud, je cours à la chaudière ;
De mon rable allongé, ainsi qu’une rapière,
Je parcours de mon four les côtés et le fond…
Lors , parmi les ardeurs du feu & de la flamme,
Je me sens consumer jusqu’au centre de l’âme :
Vêtu comme un faquin, sans chemise & tout nud
Je n’ai qu’un guenillon qui me couvre le cu »
La misère des garçons boulangers

 

« paillassons », un fléau de balance, une chaudière et autres objets habituels pour le fabrication du pain.
Il fallait du bois pour chauffer le four ; il était dans la cour.

L’activité de boulangerie ne se limitait pas à la préparation de la pâte et à la cuisson du pain, il fallait préparer la farine comme le laisse supposer la description des objets décrits dans les pièces – il y en avait trois – qui occupaient tout le premier étage. L’une d’elle était appelée « la Balute » ; on retrouve ce même terme chez le boulanger de Saint- Maixant.

 

« ….s’en aller au grenier
Bluter la farine & faire le meunier :
L’un remplissant son tour de ses sacs, il les lie,
Pour mettre la farine, une place il balaie ;
Et l’autre à tour de bras, à force du poignet
Fait tourner la machine avec son tourniquet.
Après avoir longtemps agité la machine,
Bluté & rebluté ce qu’il faut de farine,
Aussitôt on descend pour s’en aller à l’eau … »
« La misère des garçons boulangers »

On pouvait y noter la présence d’un « moulin à passer la farine » en bois ; suspendu au plancher, l’arbre d’un autre « moulin à farine », avec sa toile. Ces « moulins », on les retrouvait dans les deux autres pièces de ce même étage. L’un d’eux qui servait à « passer le blé » était appelé « trictrac» - une allusion au cliquetis des rouages. Certains, mais pas tous, étaient recouverts de toile, pour éviter la poussière.
Le texte concernant les scellés mentionne des « blutoirs ». Avaient-ils la même finalité que les « moulins » ?

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Un blutoir


Des sacs de toile, des plateaux de balance, un tambour, un crible et autres ustensiles étaient répartis dans les trois pièces. Dans l’une d’elle, un lit sans doute destiné au sommeil de l’apprenti - dont on peut lire le contrat d’apprentissage à la rubrique « apprentissage » du site.
A noter également, 2 hectolitres ¼ de fèves.

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Cela sentait bon chez Marquille : il n’y avait pas que l’odeur du pain chaud, il y avait aussi celle de la soupe. Car la cuisine de la dame Marquille était à côté.

Cette cuisine « qui sert d’entrée » au rez-de-chaussée n’était pas bien grande. S’entassaient comme ils pouvaient deux tables, douze chaises, un buffet, une pendule et un paravent. Bien entendu, la cuisson se faisait dans la cheminée où étaient logés les accessoires habituels (chenets, tourne broche, etc. . Sur le mur on avait suspendu ou accroché cassottes, poelons et autres ustensiles. Une paire de flambeaux permettait l’éclairage. Sur la cheminée une « éguière », théyère, deux bols et un sucrier et... deux fers à lisser.
La petite pièce, à droite qui donnait « au levant » (sur la rue du Port) était sans doute d’accès réservé ; on y remarquait en effet un secrétaire (papiers notariés, pièces comptables), une commode ou « coffre-fort » avec de l’argent. Un lit voisinait avec une « bergère » et sa paillasse (sans doute parent de notre « canapé »). Dans la cheminée, des chenets.

 

Ce n’était pas dans cette pièce que dormait le couple Marquille, mais dans la chambre du haut, au deuxième étage. Une des fenêtres, munie d’un balcon, donnait sur le port. Une belle pièce : deux lits, neuf chaises, une cheminée avec un trumeau. Sur les murs quelques tableaux, deux tables et un « cabinet ». Il y avait une toute petite pièce à côté avec une table et des bricoles.
Au rez-de-chaussée, on pouvait utiliser deux dépendances : un chai avec ce qu’il faut pour faire la lessive et une écurie avec un cheval.

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Que trouvait-on dans les meubles décrits, une fois ouverts, ou « mis en évidence » ?
De la vaisselle, d’abord, beaucoup de vaisselle. On peut énumérer : 3 soupières, 63 assiettes en faïence, 25 en grès, 40 cuillères en fer ou en étain, 27 fourchettes, 8 cuillères à café.
Pour ce qui est du linge dit « de maison » : 31 draps, 16 nappes, 40 serviettes, 13 tabliers de cuisine, 57 essuie-mains.
Un aperçu du vestiaire du défunt ? 28 chemises, 8 pantalons, 5 gilets sans manche, 3 paires de caleçons (très usés), 2 habits en drap, 2 vestes , 3 chapeaux et... un « shakol » avec une ceinture.

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Jeanty Marquille était aussi propriétaire de deux chais, un à Saint-Maixant au lieu Thoya (cuve, pressoir et une vache laitière), l’autre rue d’Aulède (cuves et pressoir). Rue Rendesse « l’ancienne maison », ainsi l’appelait-on, ne contenait que des barriques et des futs. Un « hangard » servait de réserve de bois pour le four.

L’inventaire du mobilier, des papiers, du numéraire et des immeubles donne tous les signes d’une réussite interrompue brutalement par le décès de Jeanty Marquille.
La veuve est décédée à son tour deux ans plus tard en 1821. Elle avait 42 ans. Elle résidait depuis décembre 1819 sur la place Mercadiou (maison Bergoing).
Un parent de la famille avait repris la boulangerie après le décès de Marquille.
Une vente aux enchères, en 1822, consécutive au décès de la veuve a attribué la maison de la rue du Port à François Rapin, cordier.


Sources

ADG 4 U 10/15 : Apposition des scellés – décès Marquille (1819)
ADG 3 E 59969 : Inventaire de la succession Marquille (1819)
ADG 3 E 59967 : Inventaire succession Estibal (1817)
ADG 3 E 24141 : Achat maison rue du Port (1811)
ADG 3 E 58965 : Bail chai Barbot à Marquille ( 1814)
ADG 3 E 58971 : Inventaire décès Castaing veuve Marquille
ADG 3 E 59972 : Adjudication suite décès Castaing Veuve Marquille

Les textes relatifs à la « misère des garçons boulangers » ont été extraits de la Bibliothèque bleue – Littérature de colportage, Robert Laffont – Paris 2003


(09/2013)