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Par Monique LAMBERT
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Cadillac (2200 habitants), une très petite ville active : son port, sa bastide, son asile d’aliénés, son château transformé en prison pour femmes et… son commissaire de police, un certain Pierre Adolphe Rossin, 49 ans. C’est un fonctionnaire zélé. En quelques lignes, il a présenté quelques-uns des habitants de Cadillac. Ils étaient soupçonnés d’idées subversives.

La France connait alors ce que les livres d’histoire nomment « l’Empire autoritaire ». Napoléon III a institué un régime qui limite les libertés publiques. Or, L’année 1857 voit l’élection de 5 députés de l’opposition. Puis il y a l’attentat d’Orsini le 14 janvier 1858. Inquiétude du pouvoir. Les préfets reçoivent l’ordre de multiplier la surveillance des gens suspects d’opinions défavorables au régime.

Pierre Adolphe Rossin, commissaire de police n’est pas d’ici, mais de Fontainebleau son père (chevalier de la Légion d’honneur) avait été commissaire de police. Il a été en poste à Blaye en 1855. A la demande du préfet, il rédige une note synthétique présentant certains habitants de Cadillac, note conservée aux Archives départementales sous la cote 1 M 380, avec beaucoup d’autres.

En effet, sous cette cote et les suivantes sont répertoriés, par ordre alphabétique, les surveillés politiques ainsi que les hommes classés « non dangereux », « peu dangereux » et « très dangereux » : 850 fiches ou documents à consulter. Une mine !

 hommes dangereux 01v

Dessin de Maignan

http://inventaire.aquitaine.fr/decouvertes-de-laquitaine/gironde/cadillac-pittoresque-le-regard-dhenri-maignan-1815-1900/pour-en-savoir-plus/

Elles apportent quelques éclairages non seulement sur le profil des suspects ou condamnés mais aussi sur les sociétés secrètes et les modalités de la surveillance exercée sur certaines personnes.

En ce qui concerne la note de Cadillac, on peut remarquer l’absence des femmes. Parmi les hommes suspectés, jeunes et vieux, on peut observer que, bien intégrés, ils ont tous un métier, parfois honorable. Quelques propriétaires. On note des opinions partagées entre gens de la même famille.

Bailly Jean (Jeune) 

Sellier-bourrelier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 23 février 1820. Donne dans les idées socialistes, comme quelques autres jeunes ouvriers de son âge qui viennent faire la conversation chez lui. Sa conduite est peu régulière, il a été poursuivi à l’occasion de tapages nocturnes et s’est toujours tiré d’affaire par l’adresse qu’il a eu, tout en poussant des camarades au mal, de disparaître à temps. Il est sournois et serait dangereux à l’occasion.

Barreyre (Alphonse)

Greffier de la justice de Paix demeurant à Cadillac, en ville ; né le 18 septembre 1816. C’est de tous les socialistes de la ville, le plus effronté et le plus dangereux. Aux élections et dans toutes les occasions, il affiche son opposition au Gouvernement avec un cynisme révoltant. Il est d’autant plus en état de soulever les mauvaises passions qu’il joint à un caractère foncièrement méchant l’influence que lui donne son emploi sur beaucoup de gens du canton. Dans des temps de désordre, il irait jusqu’à la cruauté s’il pouvait espérer l’impunité. Son chef, monsieur le Juge de Paix, sait de quoi il est capable et, s’il ne l’a pas fait connaître à l’autorité supérieure, on ne peut attribuer son silence qu’à de la faiblesse et à la crainte que lui inspire un homme qu’il sait vindicatif et capable de tout.

Berry (Pierre Henry)

Menuisier demeurant à Cadillac en ville ; né le 30 mai 1816. Ivrogne, fainéant, capable de tout, le bien excepté. Du reste, sous influence et se trainant à la remorque de Barreyre et autres. Peu dangereux par lui-même, quoique bien mal intentionné.

Bonnefoux (Auguste)

Propriétaire demeurant à Cadillac, en ville ; né le 15 octobre 1816. Plus bête que méchant ; est peu dangereux bien qu’imbu des idées socialistes avancées et fréquentant ceux de l’opinion.

Bouchet (Valentin), fils

Sabotier-perruquier, demeurant à Cadillac, en ville ; né à le 3 novembre 1832. Fainéant et débauché ; plein de mauvais vouloir et désireux de bien vivre sans travailler. N’ayant rien à perdre, le partage des propriétés d’autrui lui sourirait beaucoup.

Bousquet (Jean), aîné

Pharmacien demeurant à Cadillac, en ville ; né le 3 février 1816. Socialiste très avancé, d’une humeur sombre et capable de pousser au mal. En temps de troubles, il serait dangereux.

Carcaut (Bernard)

Epicier demeurant à Cadillac, en ville ; né le 20 juin 1828. Socialiste avancé, têtu et tant soit peu docteur, non dangereux pour lui-même, mais disposé à tout faire au commandement des chefs du parti.

Chaigné Pierre

Tonnelier demeurant à Cadillac hors ville ; né le 25 janvier 1808. Brutal et homme d’action, prêt à exécuter les ordres du parti rouge auquel il est dévoué aveuglément.

Charriaut (Antoine)

Ex huissier, président de la société de bienfaisance dite de l’Assomption, demeurant à Cadillac, lieu du Pourret ; né le 20 avril 1820. L’un des plus ardents du Parti socialiste, d’autant plus dangereux qu’il est très fin et sait exciter les mauvaises passions, évitant de se connaitre personnellement. Il jouit d’une popularité redoutable par l’emploi qu’il en ferait à l’occasion au profit de l’ambition qui le ronge. C’est le neveu et l’intime du fameux Marcellin Lafitte de Gabarnac dont il guigne l’opulent héritage ; il est aussi gendre de l’illustre Lafitte ainé avec qui il demeure.

David (Jean), dit Jeanty

Tonnelier, demeurant à Cadillac, hors ville, né en 1794. Socialiste dévoué aux meneurs du parti et disposé à suivre leurs inspirations quelles qu’elles soient. Homme d’action.

David (Jean)

Tonnelier, demeurant à Cadillac, hors ville ;né en 1788. La note précédente lui est entièrement applicable avec un surcroît de méchanceté à signaler ; très dangereux.

David (Jacques), fils

Tonnelier demeurant à Cadillac, hors ville ; né le 30 octobre 1819. Fils et neveu des deux précédents dont il partage les idées exaltées, augmentées encore du feu de sa jeunesse.

Delcros (Pierre), aîné

Marchand quincailler, demeurant à Cadillac en ville ; né le 23 février 1797. Ex-maire de la fabrique du gouvernement provisoire. L’un des docteurs du parti socialiste. Autrefois des réunions avaient lieu chez lui et son influence était grande ; aujourd’hui il est passé à l’état de vieille ganache et quoique sa mauvaise volonté et son hostilité subsistent toujours au même degré, sa prépondérance va en déclinant. Il est en relation avec les démocrates du dehors.

Delcros (Jean), dit Jeanty

Marchand de barriques, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 16 germinal an X (6 avril 1802). Partage entièrement les opinions socialistes du précédent et est comme lui dévoué à l’anarchie.

Delcros (Paulin), fils

Ferblantier, demeurant à Cadillac en ville ; né le 15 octobre 1826. Encore plus dangereux que ses oncles dont il partage la manière de voir ; il y joint l’exaltation de la jeunesse avec un fond d’orgueil et de méchanceté de race.

Depiot (Simon)

Marchand et agriculteur, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 18 nivose an 2(7 janvier 1794). En sa qualité de banqueroutier, c’est un des plus ardents coryphées de la démagogie, si riche de personnages non moins recommandables. Celui-ci, être hargneux, méchant et vindicatif est tout dévoué au prosélytisme de la cause socialiste ; c’est un homme on ne peut plus dangereux, en relation avec les adeptes de l’extérieur. Il a toutes les allures d’un colporteur de mots d’ordre dans l’intérêt du désordre.

Desbats (Jean Alexis)

Propriétaire demeurant à Cadillac, hors ville ; né le 22 octobre 1796. Ce serait une bien grave erreur de considérer le sr Desbats comme un socialiste ; il est trop riche, trop partisan des écus, trop avare et trop peu sympathique aux pauvres, pour ne pas regarder le partage des biens comme l’utopie la plus stupide. Sa seule opinion est de thésauriser et si, malgré la soif de l’or poussée à la férocité, il vote avec les rouges, c’est uniquement pour faire pièce à ceux de ses ennemis personnels qui sont partisans de l’Empire. Il l’a très spirituellement confessé aux dernières élections, et il a dit vrai.

Donnadieu (Antoine)

Marchand de parapluies, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 5 septembre 1808. Ses fréquentations habituelles avec les socialistes exaltés et sa rage de déblatérer contre les actes de l’autorité, le font regarder comme grand partisan du désordre. Il est sournois et assez fin pour éviter de donner prise sur lui ; il n’en serait que plus dangereux à l’occasion.

Dubois (Jean), dit Jeantille

Marchand boucher, demeurant à Cadillac en ville ; né le 17 juillet 1781. Ce vieillard est foncièrement méchant ; il partage toutes les idées subversives de son gendre, le sr Eugène Dupas, ferblantier ou lampiste. S’il était plus jeune, il serait très dangereux.

Dubouil (Raymond)

Marchand de chaussures, demeurant à Cadillac en ville ; né le 7 mars 1804. Ex-cordonnier, régisseur révoqué de l’octroi de Cadillac, défenseur officieux et stupide près de la Justice de Paix qu’il assomme des plus incroyables barbarismes. Cet individu est un socialiste de l’école de Barreyre, Charriaut et compagnie ; outrant son modèle avec une morgue comique, il prêche aux paysans qui recourent à son éloquence une sorte de doctrine démocratique qualifiée de Positivisme. Il est très possible que son amour pour l’égalité se soit refroidi par suite d’un héritage d’une soixantaine de mille francs qui vient de lui échoir du chef de sa femme. Il ne pourrait maintenant que perdre au partage des biens ; partager est bon quand on est gueux.

Dubourg (Clément)

Horloger, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 6 octobre 1829. Socialiste effronté et insolent, affectant des airs de bravache qui a fait de la propagande aux dernières élections. On ne sait si le mariage qu'il vient de contracter avec une fille de bonne famille de Cadillac modifiera ses allures impertinentes et ses idées subversives. Quant à moi, je ne le crois pas et je le tiens pour un méchant et incorrigible drôle.

Ducasse (Joseph, Emile)

Huissier, demeurant à Cadillac hors ville ; né le 2 août 1832. Partage les idées socialistes de son patron et prédécesseur, Charriaut, avec lequel il est très lié et qu’il tient pour un oracle.

Dufourc (Charles)

Tonnelier et cafetier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 3 octobre 1814. Socialiste patelin, évitant avec soin toute démonstration compromettante. Depuis longtemps, nous veillons sans succès son café où, suivant les rapports, il a fait ou laissé jouer de l’argent ; si, comme je le crois, cet abus ne s’y pratique plus, on le doit à la surveillance dont il se sait l’objet et à la crainte qu’il a de voir fermer son établissement.

Dupas (Eugène), gendre Dubois

Ferblantier-lampiste, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 5 octobre 1818. Celui-ci est un socialiste enragé, à mettre sur la même ligne que le greffier Barreyre ; comme lui, il est très dangereux et serait homme de sang à l’occasion. Ses opinions subversives ne sont, du reste, un secret pour personne, car, loin de s’en cacher, il en tire vanité et a toujours à la bouche quelque mot sarcastique contre l’ordre de choses actuel où percent ses espérances de réussite de son parti pour l’avenir.

Felon (Pierre)

Coutelier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 9 août 1807. Type de la brute ; fainéant, ivrogne, grossier, capable de tous les excès. C’est un socialiste très dangereux qui ne reculerait pas devant un forfait, pour peu qu’il entrevît l’impunité.

Felon (Jacques), frère du précédent

Tonnelier, demeurant à Peytoupin, commune de Cadillac ; né le 14 novembre 1816. Il a tous les vices de son aîné, si ce n’est qu’il ne possède pas celui de la paresse, au même degré ; il n’est guère moins dangereux. Je l’ai récemment surpris et fait condamner à la prison pour s’être donné, à minuit, le passe-temps de réveiller les Cadillacais à coup de fusil.

Gerbeau (Jean)

Couvreur, demeurant à Cadillac, en ville ; né en 1832. Ami et locataire du positiviste Dubouil dont il partage les opinions exagérées, en les outrant encore plus que son modèle. C’est une espèce de faquin faisant le beau diseur (il sait à peine lire et écrire) et affectant de regarder avec mépris du haut de sa grandeur (environ 1m55) les Magistrats et employés du gouvernement. Je le tiens pour méchant et fort mal intentionné. Il est agaçant.

Lafitte-Dupont (Alexandre)

Propriétaire, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 7 juillet 1791. Beau-père du jeune Delcros dont il partage les idées subversives ; moins méchant, cependant et moins dangereux que son gendre.

Lafitte (Pierre), aîné

Maître taillandier, beau-père de l’ex-huissier Charriaut, demeurant à Cadillac, lieu du Pourret ; né en 1797. Socialiste outré, comme son gendre et comme son frère Marcellin Lafitte, propriétaire à Gabarnac. Il va sans dire que les ouvriers de son usine sont stylés pour lui et les siens aux idées les plus démagogiques. Mais ce qui fait la plus grande gloire de Lafiitte aîné, à son sens du moins, c’est l’art du mensonge dont il se vante d’avoir reculé les limites par une incessante pratique. Aussi a-t-il l’esprit constamment tendu à la recherche de gasconnades les plus outrées ; quand il a en a enfin laborieusement rencontré, il les débite avec un aplomb magnifique et c’est pour lui une jubilation extrême de voir ajouter foi à ses inventions saugrenues. Il pousse cette manie au point d’assaisonner des mensonges absurdes les plus sérieuses conversations.

Lenourichel (Auguste), fils

Chapelier, demeurant à Cadillac, en ville ; né en 1799. Socialiste exalté, méchant, sournois et capable de se porter à des excès. C’est un orateur démocratique de bas étage.

Lenourichel (Gustave), fils

Chapelier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 4 janvier 1896. A tous les vices de son père, à un degré encore plus dangereux en raison de sa jeunesse. C’est un poil rouge, tout bon ou tout mauvais.

Lescure (Benoist)

Cordonnier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 28 avril 1798. Socialiste exalté, gueux et très partisan du partage des propriétés d’autrui.

Papou (Dulcide), fils

Serrurier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 8 septembre 1825. Cet homme, dans la force de l’âge et très bon ouvrier est assez dépourvu de cœur pour ne pas travailler de son état ; il souffre que sa femme le nourrisse à ne rien faire, du produit de sa profession de modiste. Aussi rêve-t-il des temps fortunés et impossibles où l’on aurait tout à satiété, sans peine ni labeurs aucuns. Le socialisme devant nécessairement amener ce délicieux état de choses, Dulcide Papou est un adepte fervent de ses bienheureuses doctrines ; il l’a prouvé par ses menées aux dernières élections.

Saint-Blancard (Michel), père

Maréchal-ferrant, demeurant à Cadillac, en ville ; né en 1805. Socialiste brutal et ivrogne, il est méchant et figurerait volontiers dans une scène de désordre.

Saint-Blancard (Romain), fils du précédent

Maréchal-ferrant, demeurant Cadillac, en ville ; né le 11 mai 1835. Le jeune homme n’a rien à envier à son père ; aux vices de celui-ci, il joint une plus grande insolence et serait à craindre en temps de troubles par son exaltation. Déjà condamné pour querelles et tapages nocturnes.

Saint-Blancard (Pierre)

Maréchal-ferrant, demeurant à Cadillac, hors ville ; né le 4 février 1819. Encore plus méchant, plus brutal, plus insolent et plus exalté que les deux précédents, ses cousins, et conséquemment encore plus partisan des bouleversements que ceux-ci. Il a quelque chose du tigre dans les allures.

Valentin (Léonce)

Charpentier et cabaretier, demeurant à Cadillac, lieu de l’Hermitage ; né le 8 février 1811. Socialiste exalté, dissimulant son mauvais vouloir sous des formes patelines ; c’est un homme faux et un fripon qui ne recule devant aucun moyen pour s’approprier ce qu’il convoite. Il est très dangereux.

Vignes (Marcellin)

Plâtrier, demeurant à Cadillac, en ville ; né le 2 février 1821. La semence du socialisme est tombée en bonne terre ; gendre de l’agriculteur Depiot, Vignes a bien profité des leçons de son beau-père ; ils ne valent guère mieux l’un que l’autre. C’est dire que Vignes est un de nos plus exaltés et dangereux démocrates.

Il y a à Cadillac encore beaucoup d ‘autres socialistes que ceux-ci ci-devant désignés.

Nous bornons nos indications aux plus dangereux pour leur exaltation, leur influence et leurs relations.

Quant aux autres, bien que redoutables par leur nombre, ils ne sont pas hommes d’initiative. Mais il serait très facile aux meneurs de les pousser aux plus grands excès, surtout en leur faisant entrevoir quelque chance de réussite et d’impunité.


 (03/2021)