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La Justice de paix de Carbon-Blanc a dû se prononcer sur une accusation de sorcellerie. Pierre Bret était-il sorcier ?

Par Monique Lambert

L’affaire oppose deux hommes. Tous deux ont  un certain âge (environ la soixantaine),  et voisinent dans un petit hameau, dans la palu d’Ambarès. Il s’agit de Pierre Bret, cultivateur et Jean Teycheney, ancien tailleur.
C’est Pierre Bret qui a porté l’affaire en justice. Il accuse Jean Teycheney de répandre le bruit qu’il est sorcier, qu’il « a donné du mal à une de ses filles  Le vieux tailleur est allé plus loin : il est allé chez Bret et l’a menacé. « Si tu ne viens pas ôter le mal que tu as donné à ma fille, tu t’en repentiras ». Bret s’est inquiété pour sa réputation... « Il a besoin d’avoir la considération du public. Il lui importe de faire cesser de tels propos qui commencent déjà à le faire rejeter  de ses voisins…. » « Les faits portent atteinte à sa réputation…, il est obligé de porter l’affaire en justice ».

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Sa requête : que Techeney ne tienne plus de tels propos et qu’il soit de plus condamné à lui payer 100 francs de dommages et intérêts.
Pour appuyer sa demande, il a présenté trois témoins qui ont confirmé les faits.
Jean Techeney a tenu à assurer seul sa défense : les reproches sont dénués de fondement  et même si les propos reprochés ont été tenus, c’était il y a 15 à 18 mois. Il y a prescription !Le Tribunal a statué : Bret est débouté de sa demande; de plus, il est condamné aux dépens !Note : nous ne saurons pas s’il y avait sorcellerie au village du Bout du Parc. Bret avait sous-estimé son adversaire, sans doute avait-il été bien conseillé.
L’âge des protagonistes et la localisation de leur habitat ont été précisés par la consultation des actes de l’état civil et du cadastre napoléonien. Ce dernier document mentionne par ailleurs un « canton des sorciers ». Qu’en penser ?
Les relations se sont-elles améliorées au sein de ce petit hameau après ce jugement qui a certainement mécontenté plus d’un ?
Jean Techeney est décédé trois ans plus tard. Il avait 69 ans.

 

Du 19 mai 1843

n° 116

Le Tribunal de simple police du canton de Carbon-Blanc  a rendu le jugement suivant sous la présidence de monsieur Jeaneau, Juge de paix, monsieur Chortet Meunier Maire de la commune de Bassens Carbon-Blanc remplissant les fonctions du Ministère Public,  et maître Sougou, greffier tenant la plume:
     Entre Pierre Bret, cultivateur demeurant dans la commune d'Ambarès, demandeur comparant en personne d'une part
     Et Jean Teycheney, propriétaire, ancien tailleur, demeurant dans la même commune, défendeur, aussi comparant en personne, d'autre part

Faits
     Par exploit de Mauget, huissier  ordonnancier du onze du courant Bret a fait citer Teycheney à comparaître à l'audience du quinze pour, ainsi que le porte l'exploit, entendre dire et exposer ce qui suit :
     "Depuis quelques temps, le dit Teycheney se permet de répandre dans le public que le dit Bret est un sorcier, qu'il a donné du mal à sa fille. Il s'est permis même d'aller chez le requérant le menacer  en lui disant " Si tu ne viens pas ôter le mal que tu as donné à ma fille, tu t'en repentiras". Le dit Bret se trouva dans une position à avoir besoin de la considération du public; il lui importe de faire cesser de pareils propos qui commencent déjà à le faire rejeter de ses voisins, en un mot de tous ceux qui avaient l'habitude de lui porter intérêt. Attendu que tous ces faits et dires portent atteinte à l'honneur, à la réputation et à la considération du requérant, il est obligé d'avoir recours à la justice pour les faire réprimer. En conséquence devoir dire qu'il lui sera fait inhibition et défense de ne plus à l'avenir tenir de pareils propos, et pour réparation du préjudice occasionné par le fait dont s'agit, s'entendre le dit Teycheney condamner à payer aud Bret la somme de cent francs à titre de dommages et intérêts et aux dépens; sauf au ministère public à prendre telles conclusions qu'il jugera convenable dans l'intérêt de la vindicte publique,, sous toutes réserves.
     Le Ministère public n'assistant point à l'audience du quinze la cause et les parties ont été renvoyées à celle d'aujourd'hui.
     Dans la présente audience, la partie civile a requis l'audition de trois témoins par elle cités suivant exploit de Mauget, huissier, du onze du mois et aujourd'hui présens, savoir :
1° Jena Trémon, âgé de quarante deux ans, charpentier de haute futaie demeurant dans la commune de Saint Vincent
2° Bertrand Magnon, âgé de vingt quatre ans, cultivateur, demeurant commune d'Ambarès
3° Elisabeth Peyrand, âgée de cinquante cinq ans, sarcleuse, veuve de Michel Magnon demeurant dans la commune d'Ambarès
    Ce stémoins après avoir fait à l'audience le serment de dire toute la vérité rien que la vérité ont été entendus séparement ne présence des parties et le greffier a tenu note de leurs déclarations, conformément à la Loi.
     la partie civile a pris les conclusions rapportées ci-dessus.
     La personne citée a proposé sa défense. Elle a soutenu que les reproches par elle adressés par le demandeur étaient dénués de fondement; que les dépositions des témoins quand aux imputations adressées au défenseur étaient erronées et que  et que fussent elles exactes, le long temps qui s’est écoulé depuis l'époque où les propos reprochés au défenseur auraient été par lui tenus, c'est à dire un espace de quinze à dix huit mois entrainerait la prescription de l'action publique et de l'action civile pour la prétendue contravention dont se plaint Pierre Bret. Il a déclaré invoquer cette prescription et a conclu à sa relaxance.
     Le Ministère public a résumé l'affaire et a donné ses conclusions tendantes à la relaxance de Teycheney.

Sur quoi
Parties ouïes
Attendu que s'il résulte de la déposition des témoins que Techeney a dit que Bret avait donné le mal à la fille du défenseur, qu'il l'avait ensorcelée, qu'il était sorcier, il en résulte aussi que ces propos  qui n'ont pas été tenus en public, l'ont été il y a longtemps, c'est-à-dire quinze à dix-huit mois avant la date de l'exploit sud énoncé.
Attendu que le défenseur sans avouer les faits à lui reprochés, invoque la prescription et que l'organe du ministère public reconnait lui-même que cette prescription est acquise
     Le Tribunal renvoie Techeney des conclusions contre lui prises par Bret qui demeure débouté de sa demande, par application de l'art 640 du code d'instruction criminelle portant "l'action publique et l'action civile pour une contravention de police seront prescrites après une année révolue, à compter du jour où elle aura été commise, même lorsqu'il y aura  un procès-verbal saisie, instruction ou poursuites si dans un intervalle il n'est point intervenu de condamnation..
     Condamne ledit Bret aux dépens comprenant le coût des citations données à sa requête et la taxe des témoins qui demeure fixée, sur leur réquisition à deux francs pour Trémon, un franc cinquante centimes pour Magnon et cinquante centimes pour Elisabeth Peyraud sans y comprendre le coût de la signification du présent jugement en quoi il demeure pareillement condamné.
     Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique au Carbon-Blanc dans le prétoire le dix neuf mai mil huit cent quarante trois et le présent jugement a été signé par le président et par le greffier.

Janeau Sougou

ADG 4 U 17/43


(06/2013)